Au lycée parisien Jean-Quarré, les réfugiés bénéficient enfin d’un peu de stabilité – 13 février 2016

Au lycée parisien Jean-Quarré, les réfugiés bénéficient enfin d’un peu de stabilité
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Le lycée désaffecté Jean-Quarré accueille officiellement des réfugiés depuis le 4 février.

 

 

 

 

Abakar tend son smartphone au-dessus de la table. Sur l’écran, la photo d’un bateau gonflable dans lequel sont entassées des dizaines de personnes, en pleine mer. Le Soudanais de 29 ans pointe du doigt une silhouette pour signifier que c’est lui, là, au centre de l’image. Passager anonyme de ces milliers d’embarcations de fortune qui font régulièrement la « une » des médias, Abakar est aujourd’hui à Paris.

Avant jeudi 4 février, il n’avait pas dormi dans un lit depuis quatre mois. Son voyage vers l’Europe a débuté il y a plus de deux ans. Il y a d’abord eu la Libye, qu’il a rejointe en 2013 après avoir fui la répression du régime soudanais d’Omar Al-Bachir. Puis la traversée de la Méditerranée jusqu’en Italie : trois jours entiers passés sur ce bateau, sans eau ni nourriture. Ensuite l’arrivée en France, où il a passé les premiers mois à dormir dehors, dans le quartier de La Chapelle. Et enfin, la semaine dernière, le centre d’hébergement d’urgence installé dans le lycée désaffecté Jean-Quarré, dans le 19e arrondissement de Paris, lui a ouvert ses portes.

Depuis une semaine, cent cinq réfugiés partagent les chambres, les douches, la cuisine neuve et les trois repas par jour qui leur sont offerts dans l’ancien bâtiment scolaire qui sent encore la peinture fraîche. Un luxe pour des hommes dans leur situation. « Ça va mieux après avoir bien dormi et mangé, dans des bâtiments chauffés », sourit Moussa, un Libyen de 33 ans, qui tient à s’exprimer en français.

Abakar, un Soudanais de 29 ans, dans le réfectoire du centre d’hébergement installé dans le lycée désaffecté Jean-Quarré.

Une promesse de la mairie

L’ancien lycée a bien changé depuis l’été dernier. Jusqu’à mille trois cents personnes s’étaient installés illégalement dans le bâtiment à la suite des évacuations successives de campements dans le nord de Paris. La gestion chaotique du lieu et les conditions d’hygiène déplorables pour les résidents en avaient fait un symbole de la crise migratoire dans la capitale. L’évacuation des demandeurs d’asile s’est faite en octobre devant les caméras, après des mois de tension et une double promesse de la part de la mairie : le relogement de tous les résidents et la transformation du squat en un centre d’hébergement d’urgence. Promesse tenue.

En six semaines, les salles de classe ont été aménagées en chambres à coucher, salles de douche, réfectoire ou encore sanitaires, un temps record. « On a mis les turbos », abonde Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité, à qui la gestion du centre a été confiée.

L’association y a affecté vingt-sept salariés, du personnel d’entretien aux responsables de gestion en passant par la coordinatrice culturelle. Car Emmaüs Solidarité insiste sur le caractère atypique du tout nouveau centre. Il garantit à la fois un hébergement stable aux réfugiés, préférable à l’hôtel, où ils ne dorment que quelques nuits tout au plus avant de souvent revenir dans la rue, et construit avec eux un projet culturel, en lien avec la mairie du 19e arrondissement.

Une bibliothèque sera achevée à temps pour l’inauguration officielle – qui devrait avoir lieu dans un mois ou deux –, la cour a été nettoyée pour rendre utilisables ses deux panneaux de basket, mais surtout, à partir de la semaine prochaine, les réfugiés pourront assister à des cours de français, dont ils sont très demandeurs. Tous ceux que l’on rencontre ici estiment l’apprentissage de la langue indispensable à leur insertion dans le pays : sans la maîtrise du français, impossible de communiquer, mais aussi de trouver un travail.

Une chambre du centre d’hébergement installé dans le lycée désaffecté Jean-Quarré.

Commencer à se construire

Parmi les réfugiés qui vivent aujourd’hui dans le centre, aucun n’y était au moment de l’occupation illégale : tous sont des hommes célibataires récemment évacués d’un campement de La Chapelle. A terme, Emmaüs Solidarité prévoit d’accueillir cent cinquante personnes, dont une partie pourrait être des femmes. Le centre accueillera des réfugiés jusqu’en 2019, avant que ne débutent les travaux pour la construction d’une médiathèque sur le site, prévus de longue date.

D’ici là, Bruno Morel espère voir se multiplier ce type d’hébergement de transition, provisoire mais plus durable que les solutions classiques : « C’est intéressant pour nous parce qu’on a de la visibilité à plus long terme, on peu travailler sur le fond. »

Cette stabilité permet aux réfugiés de ne plus se contenter de survivre. Désormais, ils peuvent dormir à l’abri et ne plus se demander où, par quel temps et à côté de qui ils passeront leur prochaine nuit. Peut alors commencer la construction d’une vie en France. Un demandeur d’asile afghan qui a passé trois mois dans un parc sans tente dans le quartier de la gare de l’Est avant d’arriver ici compte les jours jusqu’à l’obtention des papiers qui l’autoriseront à travailler : « La journée, je ne fais rien. Je dors et je réfléchis. J’en ai marre, je veux travailler pour pouvoir subvenir à mes besoins. Une fois que j’obtiens mes papiers, je trouve du travail et je vis comme un roi ! », s’enthousiasme-t-il dans un anglais quasi parfait, hérité de ses années d’études en Afghanistan.

Moussa, lui, formule un souhait plus modeste mais tout aussi urgent. Pour la première fois depuis quatre mois, il veut prendre conscience de l’endroit où il se trouve. Avec sa sacoche marron sur l’épaule et son kit main libre enfoncé dans l’oreille droite, il s’apprête à se rendre place des Fêtes, à une dizaine de mètres seulement du centre d’hébergement : « Je vais regarder la France. »