Le Monde 1961: 1500 hectares de quartiers taudis doivent être rénovés

1 500 HECTARES DE QUARTIERS-TAUDIS DOIVENT ÊTRE RÉNOVÉS

LE MONDE | 29.12.1961  | LOUIS LÉON DE DANNE.
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L’un des problèmes majeurs de l’aménagement de la capitale concerne les îlots de rénovation. Lorsque l’on parle du  » Paris du vingt et unième siècle « , on pense trop souvent à des perspectives architecturales, et pas assez à l’aspect humain d’une ville permettant à ses habitants de mieux vivre. Mais cet urbanisme social ne verra vraiment le jour que si la reconquête des  » quartiers-taudis  » s’amorce sérieusement. Une récente étude montre en effet que les taudis recensés en 1912 existent encore presque tous aujourd’hui, et que 1 500 hectares, abritant près d’un million d’habitants, devraient être rénovés.

Certes, des efforts ont déjà été accomplis. C’est ainsi qu’entre les deux guerres, l’îlot no 9, situé dans le 18e arrondissement, a été rasé et reconstruit à la suite de cas de peste qui s’y étaient déclarés. Dans l’îlot no 1, le plateau Beaubourg a été rénové ; l’église Saint-Julien-le-Pauvre, dans l’îlot no 3, a été dégagée au profit du square René – Viviani ; la piscine de la Jonquière a été créée dans l’îlot no 5 ; enfin, l’îlot no 16 donna lieu à d’importantes transformations. Mais cet effort a été insuffisant, d’autant plus que la guerre l’a freiné considérablement. Des polémiques – souvent d’ordre esthétique ou archéologique – l’ont également paralysé.

A la Libération on s’attaqua d’abord à des îlots sinistrés, à La Chapelle, à Passy, dans le 4e arrondissement, mais il faudra attendre 1948 pour que, à la suite d’études poussées, une politique systématique d’aménagement des îlots soit mise au point. En 1950 les idées se précisent, un plan de rénovation est établi, qui distingue les îlots de Paris en trois catégories :

– Ceux qui peuvent faire l’objet d’un aménagement immédiat ;

– Ceux qui sont d’un aménagement possible ;

– Ceux qui sont d’un aménagement difficile.

L’approbation de ce plan n’interviendra qu’en 1953, et c’est seulement en 1959 qu’une doctrine de rénovation est définitivement établie.

L’un des premiers objectifs de la rénovation des îlots vétustes est de mieux répartir les habitants actuellement tassés dans des  » immeubles-taudis « . Les grands ensembles de banlieue contribuent déjà à  » décompresser  » ces secteurs. De plus, Paris doit conserver la variété de ses quartiers, qui font son originalité et son charme. Un  » zonage  » s’impose, mais tout en nuances. Par exemple, si le Marais doit être assaini et rénové, il ne doit pas l’être d’une façon anarchique, sans harmonie ; on conservera ses vieux hôtels, mieux, on leur donnera un cadre de verdure.

La moitié est de Paris est à rénover

Neuf arrondissements doivent être presque entièrement rénovés, et si l’on regarde le plan on voit qu’à l’exception du 15e et du 14e arrondissement, au sud de Paris, ils se situent à l’est de la capitale.

Treizième, douzième, onzième, dix-neuvième, vingtième, dixième et dix-huitième sont couverts presque en totalité par le plan de rénovation. C’est dire la tâche immense qu’ont entreprise les urbanistes.

Mais déjà de grands chantiers sont ouverts ou en cours de réalisation. Il s’agit des opérations Flandre-Tanger (19e) ; de l’ilôt insalubre No 11, rues de Ménilmontant, Sorbier (20e) ; de l’opération Dupin (6e) ; de l’ilot No 4, boulevard de la Gare, rue Jeanne-d’Arc (13e) ; de l’ilot No 16, quartier Saint-Gervais ; de l’ilot Bièvre, boulevard Auguste-Blanqui, rue Vergniaud (13e) ; de l’îlot insalubre 13, situé rue de Tolbiac et de la Glacière (13e) ; de l’îlot Saint-Eloi, rues Erard et de Reuilly (12e) ; de l’ilot insalubre partie No 7, près des rues Couronnes, du Pressoir, des Maronites (20e) ; d’un autre îlot du 20e situé rue de la Mare et rue l’Eupatoria ; enfin dans le 11e arrondissement, de l’opération Lesage-Bullourde, près de l’avenue Ledru-Rollin et la rue Keller. L’ensemble de ces îlots en cours de rénovation représente une superficie de 88,5 hectares et une population de 60 000 habitants.

D’autres chantiers sont à l’étude, mais il faut noter que la plupart d’entre eux ont déjà reçu l’approbation du Conseil municipal… en 1956, 1957 et pour les cas les plus récents au cours de la session 1958 ! Parmi ces opérations de rénovation en projet, citons l’îlot insalubre No 7, près du boulevard de Belleville (20e) ; l’opération place des Fêtes (rue des Lilas et de la Mouzaïa (19e) ; l’îlot des Deux – Moulins (Choisy-Gare-Edison-Gentilly) ; l’îlot de Jemmapes dans le 10e arrondissement ; l’opération Perichot, près du boulevard Lefebvre (15e) ; de l’Ourcq, dans le 19e ; de Chalon (12e) et les îlots des Mariniers et de Vandamme dans le 14e arrondissement, auxquels le Conseil municipal a consacré un récent débat.

Le problème numéro un que posent ces îlots-taudis est un problème humain. En effet, si les loyers sont actuellement bas pour cette population très dense, ils vont subir de grosses hausses après la rénovation, du fait des indemnités d’expropriation à résorber, de l’achat de terrain à prix fort et de la rentabilité de la construction. Pour les habitants les plus modestes, les vieillards en particulier, un drame se prépare.

D’autre part, dans l’est et le sud de Paris, – presque entièrement couvert par les secteurs de rénovation, – il existe un nombre important de petits industriels et d’artisans, travaillant souvent en famille dans des ateliers installés depuis des générations, et fort vétustés. Ils n’ont pas les moyens de s’équiper d’une façon moderne comme il le conviendrait, mais leur activité est importante et contribue au renom de Paris.

Des solutions doivent donc être trouvées pour à la fois rénover ces secteurs et conserver ces artisans de quartier qui représentent une source d’emploi, et un équipement nécessaire à la vie locale.

Des expériences positives ont déjà été tentées. Dans l’îlot insalubre numéro 11 (20e arrondissement), une cité artisanale, préfinancée par la Ville de Paris, a été mise à la disposition des artisans expropriés. Dans le 13e arrondissement, d’autres formules sont adoptées qui laissent aux industriels du quartier rénové la charge de l’édification de la future cité artisane.

Le ciel dans la maison

Troisième aspect important des îlots de rénovation : les espaces verts. En effet, pour remédier à leur grave pénurie, le plan d’urbanisme directeur de la Ville de Paris, qui a fait l’objet de délibérations du Conseil municipal en octobre 1959, a prévu la création d’une centaine d’hectares de jardins publics. Mais compte tenu de l’importance de la population et des besoins des enfants toujours plus nombreux, cette prévision est nettement insuffisante. Aussi s’oriente-t-on vers l’aménagement de grands espaces verts liés étroitement aux îlots à rénover.

Le passé a légué à Paris ses sites et ses monuments. Tournée vers l’avenir, la capitale doit maintenant liquider ses quartiers-taudis et faire entrer  » le ciel dans la maison « .

LOUIS LÉON DE DANNE.