Le Monde 1978: Jour de fête, place des Fêtes

Jour de fête, place des Fêtes

LE MONDE | 19.01.1978 – F. E.

LA place des Fêtes (19e arrondissement) achève sa métamorphose,  » à l’américaine « . On pense, en effet, à Jour de fête, film de Jacques Tati dans lequel un facteur consciencieux impose à sa bicyclette des performances olympiques et rêve de faire sa tournée en hélicoptère :  » à l’américaine « .

Créée en 1836 pour servir aux fêtes de la commune de Belleville, cette place fut dotée, en 1881, d’un square et d’un délicieux kiosque à musique. Sur la rue Augustin-Thierry, le Regard de la lanterne survécut à ces aménagements. Forte construction en pierre surmontée d’un dôme, ce Regard, achevé en 1613, constituait la tête de l’aqueduc de Belleville, et il est aujourd’hui classé. Autour de la place, des maisons basses ou de petits immeubles, comportant souvent une cour ou un jardin, abritaient une population essentiellement artisanale. Il y a vingt ans (en 1957), le Conseil de Paris confiait à la SAGI l’opération  » place des Fêtes  » qui touche à sa fin. Comme il est de règle dans la plupart des  » rénovations « , la promotion privée a trouvé ici sa caution dans le financement de logements sociaux (1 423 H.L.M. et 303 I.L.N. sur 3.850 logements prévus en 1975). En fin de course l’opération ne paraît guère convaincante : sans nécessité, la réalité d’un quartier s’est vue désarticulée au profit d’un urbanisme qui confond modernisme et brutalité et n’a sans doute d’urbanisme que le nom. L’irruption de hauts immeubles qui sont à peine de l’architecture au milieu d’un quartier sans architecture, lui aussi, mais, comme on dit, plein de caractère et de charme, a la grossièreté d’une interruption qui se voudrait brillante dans une conversation qui poursuivait aimablement son chemin.

Certes, les susceptibilités ont été ménagées. Celle des monuments historiques : le Regard a été préservé. Celle des joueurs de boules, mais, au centre du vieux square, le kiosque à musique, devenu  » délicieux  » serait plutôt gênant par son anachronisme. Celle des écologistes ; près du square, on a cru bon d’aménager un espace qu’il faut bien dire verdâtre.

En somme, la rénovation de la place des Fêtes n’a rien, malheureusement, de surprenant. Elle est même bien raisonnable auprès de ce que sont, à Paris, le secteur Italie et le vertigineux front de Seine. Elle participe de ces opérations qu’il faudrait passer sous silence s’il s’en trouvait d’autres, de taille comparable, qui donnent envie de les défendre.

Une collection utopique

L’IVRE DE PIERRE, au doux titre, nous ouvre ses premières bacchanales. Cette collection, qui se propose de paraître,  » à raison de deux ou trois volumes l’an « , est consacrée à l’architecture utopique. Elle offre en somme un lieu aux constructions  » sans lieu « , celles de l’esprit, et redonne à l’imagination une valeur qu’un demi-siècle de fonctionnalisme lui avait fait perdre.

Toutes les familles de l’utopie sont d’ores et déjà représentées dans ce volume au format généreux (30 x 40 cm) : projets de forum et de théâtre à Paris par Wailly (1798) et projets de divers monuments par Lequeu (1815). Ces projets-ci ne se pensaient pas utopiques. Projets futuristes qui se savent utopiques, l’un empruntant beaucoup à la bande dessinée (Jungmann) et l’autre a la poésie (Aubert). Une variante curieuse est un projet qui se déclare utopique, comme d’autres s’autocensurent (Krier). Enfin un rêve dessiné, et bien dessiné, par Theimer pour la place du Châtelet. Si l’on excepte les projets anciens, cette dernière  » utopie  » est la plus attachante.

F. E.

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